La théorie de la « confusion des patrimoines » en droit patrimonial de la famille

La théorie de la  « confusion des patrimoines » en droit patrimonial de la famille

La  « confusion des patrimoines » est un mécanisme du droit commercial qui permet d’étendre une procédure de liquidation judiciaire, dont une entreprise fait l’objet, à un dirigeant et/ou associé de cette entreprise[1], et ainsi de prononcer non seulement la faillite de l’entreprise, mais également la faillite personnelle du dirigeant/associé en question. Pour caractériser la confusion des patrimoines dans ce cas de figure, il faut établir l’existence de « flux financiers anormaux » ou de « relations financières anormales ». Si une confusion entre le patrimoine social et le patrimoine personnel  est établi, ceci peut aussi avoir des incidences sur le conjoint du dirigeant/associé concerné :

-        la faillite peut être étendue au conjoint de l’entrepreneur mis en liquidation s’il y a un enchevêtrement entre le patrimoine personnel du conjoint et les éléments d’exploitation de l’entreprise

-        les juges peuvent prendre en compte une confusion entre le patrimoine personnel d’un époux et le patrimoine de la société où il est associé pour apprécier la situation financière de cet époux dans le cadre d’un divorce pour statuer sur la demande d’obtention d’une prestation compensatoire (en application du droit français) émanant du conjoint[2]

Pour ce qui est de la confusion des patrimoines entre époux séparés de biens, en matière de droit patrimonial de la famille, elle peut servir à combattre des présomptions de propriété tant conventionnelles (crées par une clause du contrat de mariage)[3] que légales (art. 1538 al3 Code civil)[4]. Cette confusion des patrimoines est appréciée souverainement par le juge du fonds, qui prend en compte, notamment, le fait que les ressources et les dettes personnels des époux ont été confondues et/ou que l’un des époux administrait seul pendant un certain temps non seulement son propre patrimoine, mais également celui de son conjoint[5].

 

La séparation de biens

En principe, il n’y a pas de masse commune de biens dans le régime de la séparation de biens on est en présence d’un cloisonnement entre les patrimoines personnels des époux.

Toutefois, une indivision peut naître au cours du régime matrimonial, notamment si les époux acquièrent ensemble un immeuble. Cette indivision obéit aux règles de droit commun de l’indivision conventionnelle (art. 815 et s. code civil).

La plus grande difficulté est la preuve de la qualification d’un bien donné comme bien personnel d’un époux ou comme bien indivis. L’article 1538 du code civil, dans son alinéa 3, prévoit une présomption d’indivision pour les biens « sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive ». Il s’agit d’une présomption simple, la preuve contraire est possible par tous moyens.

Pour ce qui est des comptes bancaires des époux, les avoirs déposés sur un compte commun aux deux époux sont réputés indivis, les avoirs déposés sur un compte bancaire personnel à l’un époux sont qualifiés de biens personnels de cet époux (en principe).

Si un bien personnel d’un époux est financé, pour tout ou partie, par des deniers de son conjoint, on peut avoir différentes qualifications. On peut analyser l’opération comme :

-        un prêt, le conjoint peut alors demander le remboursement des sommes (au titre d’une créance entre époux).

-        Une  donation de biens présents entre époux (irrévocable), mais il faut que l’intention libérale du conjoint soit établie (donc la volonté du conjoint d’investir ces sommes au profit de son époux sans exiger une contrepartie quelconque).

-         dans des hypothèses spécifiques, notamment s’il s’agit de l’acquisition du logement familial, ce financement peut être qualifié par les juges comme l’exécution de l’obligation légale de contribution aux charges du mariage (art. 214 code civil).

C’est le juge du fonds qui qualifie souverainement ce type d’opération selon les circonstances de chaque espèce.

Affaire n°… (Liquidation indivision conventionnelle – séparation de biens)

En première instance, Mme s’est vue accorder une créance contre l’indivision conventionnelle qui existe entre elle et son ex-époux et qui comprend un immeuble, créance justifiée par le fait que Mme a remboursé la majeure partie du prêt hypothécaire.

M. interjette appel contre ce jugement au motif qu’il a contribué à rembourser le prêt au même titre que Mme. Il évoque des virements bancaires réguliers qu’il aurait effectués au profit de Mme, qui a remboursé le prêt en question à travers son compte en banque personnel.

Si la preuve de ces virements réguliers est rapportée, il n’y a toujours pas nécessairement une confusion des patrimoines, invoquée par M. , puisque les sommes versées avaient un but précis, à savoir le remboursement du prêt. Si la confusion des patrimoines serait retenue, la créance de Mme à l’encontre de l’indivision risquerait de diminuer ou d’être réduit à néant, puisqu’elle ne pourrait plus démontrer le caractère personnel des avoirs utilisés pour rembourser le prêt.

Il faut remarquer que, selon les circonstances, il est possible que ces prétendus versements ayant servi à rembourser un prêt (ayant financé le logement familial ?) soient qualifiés comme étant l’exécution de l’obligation légale de contribution aux charges du mariage, si cette dernière n’a pas été exécutée autrement. Il faut être prudent si le contrat de mariage comporte une clause stipulant que la contribution aux charges du mariage est « réputée acquittée au jour le jour »[6], il se peut que le juge décide qu’il n’y a plus aucun compte à régler au titre de la contribution aux charges du mariage et que ces versements présentaient effectivement le financement de sa part indivis de l’immeuble (en conséquence la créance de Mme à l’encontre de l’indivision diminuerait).

Toutefois, en absence de toute preuve de ces prétendus versements, il sera difficile d’établir l’existence d’une confusion des patrimoines. En outre, vu que le prêt sera présumé être remboursé à l’aide des deniers personnels de Mme, la créance à l’encontre de l’indivision sera justifiée.

 

Conclusions :

Le contrat de séparation des biens offre une bonne protection des avoirs propres de chacun des époux. Mais la séparation des biens connaît ses limites et il faut conseiller aux époux de garder également des comptes séparés  s’ils ne désirent pas se voir opposer une confusion des patrimoines et donc être amenés, en cas de séparation,  à partager les biens qu’ils considéraient comme des propres.

La jurisprudence luxembourgeoise des dernières années a souvent retenu le principe de la participation aux frais du ménage en cas de remboursement d’un prêt immobilier, fut-il  au moyen des avoirs propres.

 

 

[1] À titre d’exemple : Cour de cassation (française), chambre commerciale, arrêt du 1ier avril 2014, n°13-13744

[2] Cour de cassation (fr), chambre civile 1, arrêt du 26 juin 2013, n°11-29015

[3] G. Vogel, Le divorce en droit luxembourgeois, p. 603 (§515)

[4] Cour de cassation (française), chambre civile 1 , arrêt du 30 novembre 1976, n°76-10105

[5] Cour de cassation, 30 novembre 1976, précité

[6] Cour de cassation (fr), chambre civile 1, arrêt du 15 mai 2013, n°11-26933

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